II. Problématique Grand Cormoran - pêcheurs

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Origines et causes en Europe

Dans toute l'Europe, les Cormorans n'ont pas cessé de subir, au cours des siècles, des exterminations massives. Chassés, poursuivis sur leurs lieux de nidification au nord de l'Europe, ils ont frôlé l'extinction sur tout le continent au XIXe siècle.

Au début du XXe siècle, le Grand Cormoran était éteint au Danemark, en Suède, en Allemagne, en Belgique, pays qui sont, comme nous l'avons relevé précédemment, vitaux pour leur reproduction. Les effectifs européens n'atteignaient pas alors 4'000 couples.

Malgré les recolonisations qui ont eu lieu dans plusieurs pays, le nombre global d'oiseaux variait peu, car les Pays-Bas, qui possédaient les plus importantes colonies de nidification, pratiquaient toujours des réductions d'effectifs.

Cette stabilité a subsisté jusqu'aux années 1970. De plus importantes mesures de protection de l'espèce ont alors été prises, tant au niveau national qu'international. Parmi celles-là, la directive de la CEE du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages a eu une importance considérable, car elle accorde au Cormoran la protection totale. A partir de là, l'espèce, qui avait déjà amorcé une croissance soutenue, a subi une explosion démographique exponentielle.

Nous avons pris comme référence les chiffres donnés à la Cormorant Conference Gdansk en 1993, qui sont de loin les plus fiables. Aujourd'hui, dans la presse, on parle parfois d'une population européenne avoisinant les 700'000 individus, y compris la sous-espèce atlantique (Phalacrocorax carbo carbo) ! Ce sont là des chiffres qui demandent confirmation.

Ce que l'on peut affirmer avec certitude, c'est que, globalement, le nombre de Cormorans augmente toujours en Europe.

Les causes de cette extraordinaire prolifération suggèrent une évidence : l'homme en est le seul responsable.

En effet, outre les mesures de protection déjà évoquées, et qu'il convient de mettre au premier rang des causes, il est utile d'en ajouter quelques autres : 

Cette situation a engendré un vif débat à l'échelle européenne qui n'a toujours pas débouché sur un consensus. 

La Situation en Suisse

Jusqu'au XXe siècle, l'apparition du Grand Cormoran en Suisse était rare. Il s'agissait, la plupart du temps, d'individus faisant escale lors de migrations.

A partir de 1930, l'hivernage est devenu régulier, sur les grands lacs d'abord (Léman, Neuchâtel, Constance, Zurich). Puis, les Grands Cormorans se sont dirigés progressivement vers les petits lacs et, au milieu des années 1980, ils ont commencé à pêcher régulièrement sur les cours d'eau. L'aire d'hivernage de l'espèce s'est fortement accrue à cause de l'augmentation des effectifs ; celle-ci est bien visible sur le graphique suivant.

A partir des années 1980, plusieurs groupes de travail ont été chargés d'étudier la question et depuis 1992, le groupe " Cormoran et poissons " a réalisé une étude très approfondie au niveau national.

De nombreuses discussions se sont aussi engagées entre les milieux intéressés. D'un côté, la Fédération Suisse de Pêche et de Pisciculture (FSPP) qui craignait la disparition de certaines espèces de poisson menacées. De l'autre côté, l'Association Suisse pour la Protection des Oiseaux (ASPO) qui demandait l'influence réelle du Cormoran sur les peuplements piscicoles et avait peur que les mesures prises contre ce dernier (par exemple, des dérangements de toute sorte) n'affectent aussi d'autres oiseaux.

Sur le plan de la législation, la Suisse est tributaire de la Convention de Berne du 19 septembre 1979, qui stipule que le Cormoran est une espèce protégée. Celle-ci laisse pourtant la possibilité de chasse dans une certaine mesure, tout comme la directive de la CEE de la même année, qui permet l'obtention exceptionnelle de tir (c'est le cas dans les zones françaises de pisciculture de Dombes et de Brenne par exemple).

Le Cormoran peut être chassé du 1er septembre au 31 janvier dans la plupart des cantons. Ainsi, pendant la saison 1992-93, 958 oiseaux ont été abattus sur l'ensemble du territoire suisse. D'autres mesures, variables selon les cantons, telles que des campagnes d'effarouchement ou la surveillance des zones sensibles, ont également été prises.
 

Analyse

Il est nécessaire d'étudier le régime alimentaire du Grand Cormoran en Suisse.

Précisons tout d'abord que l'oiseau s'adapte aux peuplements piscicoles disponibles.

La composition de sa nourriture peut être connue de deux manières :

Les études, basées sur la première méthode, la deuxième étant moins fiable, car elle ne garde pas la trace de tous les aliments consommés, ont amené les précisions suivantes :

En tout, plus de 25 espèces font partie de son régime alimentaire, la plupart faisant partie de ce qu'on appelle le "poisson blanc". 

Diverses études ont conclu que l'on pouvait exclure le Grand Cormoran des facteurs d'influence sur les poissons qui sont menacés dans les eaux stagnantes. Pour les cours d'eau, dans lesquels les poissons ne peuvent pas trouver de refuges en profondeur, il en va tout autrement, car son influence négative a été démontrée sur plusieurs espèces menacées : 

" Dans le canal de la Linth, le Grand Cormoran, après avoir pêché des ombres de grande taille, s'est attaqué à des individus de taille plus petite ; par rapport à ce qu'ils étaient avant l'apparition du Grand Cormoran, les effectifs d'ombre ont régressé à partir de 1984/85 d'environ 80% "

Les deux espèces principalement menacées sont donc la truite lacustre (Salmo trutta f. lacustris)et l'ombre (Thymallus Thymallus). La truite de rivière (Salmo trutta f. fario) est aussi menacée, mais dans une moindre mesure. 

Les Cormorans ne sont pas seulement accusés d'être de grands consommateurs de ces espèces. On leur reproche également de dérober des poissons directement dans les filets des pêcheurs (et de les abîmer de cette manière) et de mutiler les poissons, qui souvent meurent des suites de leurs blessures. Ceux qui y survivent deviennent inutilisables pour les pêcheurs, qui ne peuvent pas les vendre.

Parallèlement, les pêcheurs, qu'ils soient professionnels ou amateurs ont été forcés de faire des concessions. Ainsi, par exemple, la taille légale de capture de certains poissons à été réduite.

Si au niveau national, les espèces menacées ne connaissent pas de problème notable, que ce soit à cause de la pêche ou du Grand Cormoran, c'est au niveau local que les conflits sont les plus virulents, car c'est à ce niveau que l'extinction totale peut se produire. C'est le cas de l'Allondon que nous allons étudier.

Il est vrai que le Grand Cormoran peut prélever une grande biomasse en peu de temps sur les cours d'eau. Mais il ne faudrait pas oublier qu'à l'origine des problèmes que connaissent actuellement les poissons de nos régions se trouvent des facteurs qui découlent de l'activité humaine tels que l'exploitation hydroélectrique, la canalisation, l'aménagement, la pollution des fleuves et des rivières ainsi que la pêche intensive. A Genève, par exemple, la pêche est une activité très pratiquée. Il y a une trentaine de pêcheurs professionnels et près de 2'000 amateurs.

La région de l'Allondon

Genève était l'un des huit cantons suisses à placer le Cormoran sous protection totale. Mais suite à la nouvelle Loi Fédérale sur la Pêche (qui interdit de relâcher dans le canton des poissons de mesure pour le frai), l'Association Genevoise des Sociétés de Pêche (AGSP) a demandé l'autorisation de tirs exceptionnels sur les sites de frai des truites et des ombres. La Commission de la Faune a cédé à cette demande dès 1995. Les lieux concernés sont les suivants :

Nous avons choisi d'étudier le cas de l'Allondon et en particulier des Eaux Chaudes, où se reproduit la truite. Celle-ci fait sa migration de frai d'août à décembre C'est à cette époque de l'année que le nombre de Cormorans est le plus élevé.

Nous nous sommes donc rendu plusieurs fois sur place. Voici les résultats de nos observations :

Date Visibilité Observations
08/12/96 (matin) restreinte Aucun Cormoran 
22/12/96 (matin) moyenne Aucun Cormoran 
05/01/97 (matin) bonne Aucun Cormoran 
16/02/97 (matin) bonne Deux Cormorans en vol en direction de Verbois 
16/03/97 (matin) bonne Deux Cormorans posés sur les rives du Rhône entre l'embouchure de l'Allondon et le barrage de Verbois et un en vol en direction de l'Etournel.

Nous étions partis avec l'intention de prendre le Rhône à proximité de l'embouchure de l'Allondon en tant que milieu test mais les résultats ont été décevants.

Pourtant, des pêcheurs affirment avoir observé plusieurs individus (parfois même par groupes de deux ou trois oiseaux) dans le secteur et même sur les Eaux Chaudes. Alors, n'avons-nous pas eu de "chance" ? Aurait-il fallu y aller plus souvent ? Nous nous sommes posés plusieurs fois ces questions devant les résultats obtenus, mais à présent nous sommes convaincus que cela n'aurait rien changé. Nous avons cependant conçu un jugement objectif plus complet au sujet de l'endroit incriminé, basé sur plusieurs observations dans le milieu :

Ces deux observations nous portent à croire que la présence du Cormoran sur les Eaux Chaudes est hautement improbable.

D'un autre côté, connaissant l'esprit d'exploration du Grand Cormoran, nous pouvons admettre, comme l'affirment les pêcheurs, qu'un individu puisse s'y aventurer, mais seulement à titre exceptionnel.

Quant à savoir quel est l'impact réel des Cormorans sur les lieux de frai, il est presque impossible de le dire avec certitude.



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